6 juin 2012

Pourquoi ce thème " Camille Claudel – de la grâce à l’exil - La femme, la folie, la création "


Le thème de notre exposition est une problématique qui à pour objectif à partir de la psychanalyse d’approcher l’histoire de l’artiste. Camille Claudel nous enseigne sur un savoir circonscrit dans les contours de son œuvre et la particularité de sa mise en acte.

Camille était une jeune  fille pleine de gaîté, mais toutefois assez sauvage. Elle sculptait la terre glaise dès l’enfance et soumettait la famille au rythme soutenu des séances de poses. Elle dessinait, peignait sans relâche. Très tôt, elle trouva dans l’art de la sculpture, l’instrument qui parvenait à réguler sa démesure pulsionnelle. Rien ne put l’éloigner de ce qui s’imposait à elle avec force et passion. Tempétueuse, irascible, elle ne recula devant rien et alla toujours plus loin, sans connaître la juste mesure.

Pendant plus de trente ans, elle travailla avec le même acharnement. Sa création a pris valeur d’un nouage provisoire qui lui a permis de se décrocher d’un réel qui l’aspirait. En effet, Camille puise son inspiration dans ce qui la constitue et la met à l’épreuve. Elle sculpte des jeunes femmes qui s’abandonnent telles Sakountala ou La Valseuse dans les bras d’un homme, cet autre qui prend charge d’un corps et son destin, auxquelles s’opposent les déchues, esseulées, ces perdantes devant l’impossible rencontre ; L’implorante, l’Âge mûr, Niobide blessée ou Rêve au coin du feu. Ces femmes symbolisent des temps forts de la vie de Camille. Elles sont les représentantes de l’évolution d’une femme qui va de la grâce à l’exil.

Nous pouvons entendre que sa création est un rempart et se présente comme limitation d’une jouissance sans limites. La création stabilise en quelque sorte une pulsion désordonnée qui  l’empêche de vaciller dans la folie, provisoirement. Bien sûr, dans cette fin 19ème, elle cherche à faire admettre qu’une femme peut sculpter comme un homme, avec autant de talent et de génie et d’y inscrire son emblème. Mais, les risques qu’elle prend pour y parvenir touchent un ailleurs qui n’a rien à voir avec la femme dans sa valeur culturelle, sociale et communautaire. Solitaire, elle revendique son statut de femme artiste, mais ne peut en soutenir l’enjeu, jusqu’au bout. L’arrêt de sa création et sa destruction dix ans avant son internement vient répondre de cette impasse sombre.

L’ambivalence subjective de sa personnalité et les contours de son œuvre, nous conduisent à interroger la personnalité de cette femme qui ne s’inscrit pas dans un collectif, mais arpente continûment les méandres d’une solitude vive. La femme, la folie, la création enferment, conjointement dans sa logique, la nature même de l’élan brisé de Camille, une femme qui redevient sauvage 


31 mai 2012

Pourquoi l’exposition Camille Claudel au musée les Arcades du Centre hospitalier de Montfavet

D’un projet personnel de Mireille Tissier, psychologue clinicienne, qui travaille depuis plusieurs années à ses recherches universitaires, d’abord lors d’un master 2 recherche et maintenant lors d’un doctorat en psychanalyse autour de l’œuvre et la vie de Camille Claudel, est née l’idée de mettre en lumière les œuvres de cette artiste dans un lieu symbolique et controversé dans son histoire : le centre hospitalier de Montfavet. Ce projet a été reçu, il y a maintenant plus de deux ans avec beaucoup d’enthousiasme au sein du CHM et plus particulièrement auprès de l’équipe du musée les Arcades qui travaille activement de concert depuis, aux côtés de Mme Tissier, commissaire d’exposition pour faire de cet évènement un moment d’envergure. La mise en perspective de 13 œuvres maîtresses de l’artiste, issues de la collection particulière de Reine-Marie Paris, petite nièce de l’artiste, prendront place dans le musée les Arcades. L’exposition « Camille Claudel – De la grâce à l’exil – La femme, la folie, la création », est la première intention de ce projet. Soixante-dix ans après la disparition de Camille Claudel, cette exposition est un hommage posthume et un honneur qui lui seront rendus durant deux mois du 30 mars au 2 juin 2013 pour saluer l’emblème et la grâce de cette artiste de génie. Valoriser un parcours artistique et contribuer à son élucidation est le second volet de cet événement. Dans cette perspective, tout un programme venant s’inscrire dans un enchaînement logique de transmission, et de développement a été envisagé : colloque, conférence/débat, activités pédagogiques ouvertes aux scolaires, solo de danse « lettre à Camille » de Roberte Léger, chorégraphe, pièce de théâtre « Camille Claudel - l’Interdite »  et l’exposition temporaire d’œuvres de patients/artistes des ateliers de création Marie Laurencin. Par ailleurs les créations théâtrales des ateliers « l’Autre scène », « Il était une voix » et enfin « Emouvance » seront les emblèmes de cette création mise à l’honneur, une création toujours en gestation, toujours en devenir. La mise en scène et les représentations de ces groupes théâtre, danse et chant nous montreront que cette danse créative n’a pas de fin et qu’elle peut se jouer à l’infini. L’exposition Camille Claudel est donc un prétexte pour ouvrir d’autres fenêtres notamment sur l’art dans la folie et la folie dans l’art. La création sera le point d’orgue où il s’agira de convier un public élargi à regarder au-delà de la folie. L’enjeu de ce projet est symbolique autant qu’historique et a pour but de décloisonner, ce qui au temps de Camille Claudel, devait être mis à l’abri des regards : la création comme témoignage d’un indicible et d’une vérité particulière.  C’est par là précisément que nous orientons ce délicat assemblage pluridimensionnel.

20 avril 2012

L'association Arts en Thèses

L’association Arts en Thèses a été créée en janvier 2012 à Marignane pour soutenir et organiser le projet Camille Claudel 2013. La présidente Mireille Tissier, psychologue clinicienne, doctorante en psychanalyse à l’université de Paris 8 est à son initiative. Sa thèse réalisée autour de l’œuvre de Camille Claudel qui a pour titre Camille Claudel – De la grâce à l’exil – La femme, la folie, la création s’inscrit dans l’organisation transversale de programmes culturels et scientifiques autour de l’artiste. Trouver des partenaires pour l’accueillir était important. Le musée les Arcades situé dans le centre hospitalier à Montfavet, lieu de mémoire, lieu historique où l’artiste fut internée plus de trente ans s’est avéré incontournable et unique en son genre. La présentation du projet et son accueil par la direction ont motivé la création d’Arts en Thèses. Exposition, colloque et la publication de ses actes, écriture de catalogue, ainsi que l’orchestration artistique pluridisciplinaire de pièce de théâtre, spectacle de danse et de chant avec la participation des ateliers de l’hôpital à caractère thérapeutique affirment déjà son dynamisme et l’étendue de son action. Aujourd’hui, Arts en Thèses travaille de concert avec l’équipe du Musée les Arcades, devenu depuis sa création membres actifs de l’association.

Dans le droit fil de cette première expérience, l’association aura à l’avenir pour objet d’organiser la pratique d’activités à caractère éducatif, culturel et universitaire par l’ordonnancement de visites guidées de musées, d’expositions ouvertes aux groupes scolaires et  universitaires. Elle sera à l’origine de l’élaboration de conférences, colloques autour de publications d’artistes ou psychanalytiques, d’exposition d’artistes peintres, sculpteurs, spectacles vivants, de spectacle de théâtres ou de projection de films dans la région du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône.

La publication de catalogue d’exposition, d’actes de colloques ou de publications dans des journaux scientifiques est le dernier volet de ses activités tout orientées vers la transmission d’un savoir sur les arts en lien avec d’autres courants littéraire, historique et psychanalytique.

19 avril 2012

Soutenir le projet Camille Claudel 2013

En juin 2009, le musée les Arcades est inauguré par les autorités départementales et régionales. Le musée les Arcades situé dans un bâtiment restauré de l’hôpital psychiatrique de Montfafet est un lieu de mémoire, de découverte et d’émotion. Il se compose d’une exposition permanente et d’une exposition temporaire. Passerelle pour le grand public, il l’invite à découvrir un univers en apparence fermé « hors normes » et souvent stigmatisé. Depuis plus de deux ans, le musée les Arcades expose dans ses murs une exposition permanente, fenêtre documentée de l’histoire du monde asilaire à nos jours. Par ailleurs, l’aménagement d’un espace temporaire permet des expositions régulières autour de peintres, photographes et sculpteurs de la région avignonnaise et ses alentours. Lieu culturel par excellence les ateliers de création de l’hôpital exposent régulièrement le fruit de leur travail. Le musée les Arcades fort de ces années d’une riche programmation a pu asseoir son autonomie et son rayonnement. 
Le projet exceptionnel et historique d’une exposition Camille Claudel vient rendre compte de son dynamisme. Treize bronzes de Camille Claudel, des sculptures et peintures, créations originales réalisées autour de la thématique « femme, folie, création » des ateliers Marie Laurencin, ballet, théâtre, colloque, film documentaire, parcours thématique seront orchestrés pour mieux connaître l’artiste Camille Claudel et le chef lieu où elle vécut les trente dernières années de sa vie à l’asile de Mondevergues aujourd’hui Centre hospitalier de Montfavet. 
Passionné d’art vous pouvez soutenir individuellement ce projet 2013 et bénéficier d’avantages suivants : 

Vous êtes un particulier

Un accès privilégié aux spectacles et colloque, dont les places sont limitées.
- Un accueil privé : aux colloque et spectacles avec un placement réservé.
- La possibilité d’assister au vernissage gratuitement le 30 mars en avant-première avec   une participation au  cocktail. 
Chaque don est à verser au profit de l’association Arts en Thèses et donne droit à une réduction sur le revenu égal à 66 % de son montant dans la limite de 20 % de revenu imposable comme suit :
Donateur :
50 €     Coût après réduction fiscale  17 €
100 €                                                       34 €
300 €                                                     102 €
500 €                                                      167 €

Un report possible pendant 5 ans
Lorsque le montant total des dons est supérieur à 20 % du revenu net imposable, je reporte l'excédent sur les cinq années suivantes.
À réception de vos dons, un reçu fiscal vous sera adressé par courrier.

Justifier de mes dons
Pour bénéficier de la réduction, je joins à ma déclaration de revenus le reçu fiscal de l’association. Si je déclare mes impôts par internet, je n'envoie rien. Je les conserve simplement en cas de demande éventuelle de mon centre des impôts.

Vous êtes une entreprise.
Devenez partenaire du projet Camille Claudel 2013

TPE et PME de la région d’Avignon ou à Montfavet, vous pouvez devenir des partenaires privilégiés du projet Camille Claudel 2013 qui s’ouvre à un public élargi. Votre action vous permettra de :
 
- Valoriser l’image de votre entreprise en l’associant à ce projet prestigieux
- Développer vos actions de relations publiques ou de communication interne autour d’une belle manifestation unique et historique.
Découvrir ou faire découvrir le musée lors d’accès privilégié durant des visites guidées privées
- Participation assurée au colloque dont le nombre de places est limité.
- Accès aux spectacles à des tarifs préférentiels.
- Assister en accès privilégié au vernissage et cocktail en avant-première le 30 mars 2013
 
Les différents niveaux de participation et leurs contreparties.
Nous vous proposons trois niveaux d’engagement financier ( 2000 €, 4000 €, 8000 €) qui génère des contreparties relatives au montant du don.

Contreparties communes à tous les donateurs
- Service privilégié de réservation de billetterie et tarif réduit sur les places hors invitations,
- Mention des membres du projet dans les supports de communication du projet Camille Claudel (programme, guide du spectateur, site internet), accompagnée du logo du Cercle
- Utilisation du logo du musée dans votre communication institutionnelle,
 
MEMBRE AMI
DON DE 2000 € – Coût après déduction fiscale : 680 €
Quatre invitations pour les spectacles de Ballet/Théâtre et pièces de théâtre.
MEMBRE PRIVILÉGIÉ
 
DON DE 4 000 € – Coût après déduction fiscale : 1 360 €
Six invitations pour les spectacles réparties sur plusieurs dates, accompagnement dans la conception et l’organisation logistique de vos opérations de relations publiques durant la manifestation.

MEMBRE ASSOCIÉ
DON DE 8 000 € – Coût après déduction fiscale : 2 720 €
12 invitations pour les spectacles réparties sur plusieurs dates, accompagnement dans la conception et l’organisation logistique de vos opérations de relations publiques durant la manifestation.

Contact : 
Melle Lauréline Restier : Chargée de communication et de la culture 
Mail : laureline.restier@ch-montfavert.fr 
Tél. : 04.90.03.95.53 / Fax : 04.90.23.98.58
 
Mme Mireille Tissier : Commissaire de l'exposition
Mail : mireilletissier@orange.fr
Tel : 06 24 31 39 33
 

1 avril 2012

Camille Claudel - De la grâce à l'exil


 
L’enfance
Fille d'un conservateur des hypothèques, Camille Rosalie Claudel vint au monde en 1864 à Fère-en-Tardenois dans une petite cité de l’Aisne. Elle est l’aînée d’une fratrie de trois enfants avec Louise Claudel née en 1866 au destin ordinaire d’épouse et Paul Claudel né en 1868 devenu un illustre poète et diplomate. Camille passe une partie de son enfance dans une maison familiale à Villeneuve-sur-Fère qui resta le lieu des vacances, malgré les déménagements successifs liés aux mutations de Monsieur Claudel. Louis-Prosper Claudel, né dans la Bresse, est un fonctionnaire de province. Il ne s’opposera jamais aux vocations esthétiques de Camille et Paul. Autoritaire, colérique, mais non tyrannique, il fut prêt à se sacrifier pour accompagner ses enfants dans leurs voies artistiques. Sa personnalité orageuse et maussade fait régner un climat sombre dans le foyer. Tout le monde se dispute, la mère et le père ainsi que les enfants. Pourtant, sensible au génie de ses deux enfants, il n’hésite pas à vendre des titres pour installer la famille à Paris et permet à Camille d’intégrer en 1881 l’académie Colarossi. Fille de médecin, sa mère Louise-Athanaïse Cerveaux Claudel en revanche est hermétique à tout ce qui touche à l’art. Très tôt, alors que Camille sculpte déjà avec une rage perceptible, Madame Claudel démontre clairement son aversion sur tout ce qui touche à l’art. Elle n’eut cependant pas assez de verbes pour étouffer la vocation de sa fille et compromettre sa formation auprès des grands maîtres de ce monde. Femme de devoir, meurtrie par les nombreux deuils qui ont jalonné son existence, elle est incapable de tendresse et tient l’intendance du foyer sans relâche avec une rigueur austère. Il n’y a pas de place à l’épanchement, l’effusion de sentiment sauf peut-être envers sa fille cadette Louise.

L’enfance de Camille est vécue sans amour maternel. Villeneuve, cette région où elle grandit est à l’image de cette mère, grave et sévère comme « quand il pleut […] éloignée de toute espèce de douceur »[1] comme l’écrira Paul Claudel dans son journal. Cet univers hostile est à l’égal de ce que Camille rencontre dans son rapport à sa mère, emmurée dans ce qui s’apparente à un impossible échange phallique. Madame Claudel semble en effet restreinte dans une résignation sans borne, les obligations et les sacrifices de son statut d’épouse et de mère. Elle est écrasée par les innombrables épreuves de son existence. Et, résignée et meurtrie par cette vie difficile, Camille a et prend une place particulière vis-à-vis d’elle. La biographie de Camille Claudel nous apporte quelques précisions sur leur lien complexe. Il met en lumière les coordonnées d’un ravage mère-fille. C’est surtout à partir de la correspondance qu’elle entretient avec elle et son frère durant les trente années de son internement à Montdevergues à partir de 1913 que nous parvenons à en approcher l’essence. L’évidence d’une attente et d’une demande inassouvie s’y ordonne.

Le ravage à l’œuvre
Nous partirons de ce postulat : « L’enquête semble montrer que le rapport mère-fille est d’autant plus ravageant que la fille, future femme, a pris une place “unique” pour sa mère, parmi les autres enfants et parmi les autres centres d’intérêt. Cette fille-là cristallise pour sa mère une tentative de traiter sa propre question. Elle sera assignée à une place qui répond à un vœu privilégié que la mère ne peut soutenir par elle-même et pour elle-même. Ces filles “uniques” connaissent des expériences de ravage plus extrême que d’autres »[2]. C’est le cas de Camille fille aînée au prénom bisexué, d’une fratrie de trois enfants. Ce prénom Camille, en souvenir d’un premier enfant mort quinze mois avant sa naissance, souligne l’équivoque d’une perte en trop impossible à oublier et à en faire le deuil. Louise, sa fille cadette porte son prénom. Il est synonyme d’un certain apaisement, malgré la mort de son frère la même année. Cette fille recevra d’elle une attention singulière ainsi que tous ses espoirs, comme pour conjurer le sort de son propre malheur. La similarité de leur prénom scelle une alliance autre. Cette fille Louise, seule, réussira à l’apaiser dans une complicité sans faille, un lien dénué de toute haine contrairement à celle qu’elle voue à Camille. Paul, son dernier enfant, porte le prénom de son frère disparu dans la Marne, avec qui elle entretenait une relation fusionnelle. Nous constatons que la mort rôde dans la vie d’enfant, de mère et de femme de Madame Claudel. La mort de sa mère, la mort de son premier enfant, et celle de son frère montre en effet des circonstances particulières dans lesquelles, elle met Camille au monde. Ils donnent un repérage incontestable dans l’épreuve que Camille devra traverser toute sa vie pour se faire accepter de sa mère, d’être reconnue et aimée d’elle. L’enfant née ne peut remplacer la mort de son premier enfant et l’échange n’a pas lieu. Cette enfant, Camille, bouscule cette mère et se présente comme une agression.

Camille n’a pas été désirée, venue trop tôt, après le décès de son frère. Un garçon aurait pu peut-être apaiser la mère, mais c’est une fille qui vint à la place. Cette enfant Camille vient faire effraction à celle qui semble être appendue dans ces circonstances à un impossible échange. La violence ne se fait pas attendre entre elles. Dès le départ, leur relation ne se présente pas comme « une agressivité de rivalité, ce n’est pas celle d’un duel, elle ne s’inscrit pas dans une règle de l’échange, de négociation, ni de contrat ; »[3] Cette relation est problématique, car « elle relève d’une haine insu, présente dans une demande d’amour qui ne se conclut pas en acte. »[4] Il faut bien entendre que les soins prodigués ou non n’expliquent pas cet impossible. En effet : « le fait pour un enfant, avant sa naissance, d’avoir été un enfant désiré, le terme est essentiel. Il est plus essentiel que d’avoir été à tel ou tel moment, un enfant plus ou moins satisfait. Quelque chose semble avoir raté dans l’aventure primordiale qu’évoque Lacan “quelque chose que nous supposons vouloir se faire reconnaître, qui participe à une aventure primordiale, qui est là inscrite et qui s’articule, et que nous rapportons toujours à quelque chose d’originel”. Nous pensons que durant son enfance, Camille a échoué sur “la toute-puissance d’un Autre non castré, d’une Mère échappant au manque de la castration et qui présente au sujet une alternative mortelle”[5] En l’occurrence ici, il s’agit d’un rejet clairement affiché. Cette haine déployée par sa mère fut une constante dans sa vie et jusqu’à la fin où même internée, elle ne voulut plus jamais la revoir et mis tout en œuvre pour que l’exil de sa fille soit “définitif”. Nous pouvons à partir de ce repérage nous demander comment Camille Claudel s’est-elle plus tard accommodé du désir de l’Autre et quelle place a eu la création dans sa vie ?

La création
Camille était une enfant et une jeune fille pleine de gaîté, mais toutefois assez sauvage avec un sens aigu de la raillerie notamment envers son frère Paul qui la craignait. Elle sculptait la terre qu’elle trouvait dans la campagne champenoise dès l’enfance et soumettait la famille au rythme soutenu des séances de poses. Elle dessinait, peignait sans relâche, laissant peu de répits à ses mains toujours au travail. Déjà, elle trouvait dans l’art de la sculpture, l’instrument qui parvenait à réguler sa démesure pulsionnelle. Rien ne put l’éloigner de ce qui s’imposait à elle avec force et passion. Et, l’objet qu’elle a créé parvenait à circonscrire une jouissance insensée. Elle trouva dès son plus jeune âge à déposer dans la matière ce qui ne pouvait être symbolisé, proférant très tôt à son œuvre puissance et intériorité. Tempétueuse, irascible, elle ne recula devant rien et alla toujours plus loin, sans connaître la juste mesure. Malheureusement, la puissance de création et d’invention de Camille ne sera que transitoire.

Pendant plus de trente ans, elle travaillera avec le même acharnement. Tenace et exigeante, ce vouloir être, au féminin, ne fut pas assujetti pour Camille au phallicisme, car ce qui l’infinitise va bien au-delà. Ne pouvant s’appuyer sur une fonction déterminante, celle du père proprement dit, elle prendra le risque de l’errance. Camille Claudel s’exercera durant toute son existence à faire taire l’horreur d’un vide et d’une absence qui l’anime et l’a hanté. « Il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente » écrira-t-elle un jour à Rodin. En effet, sa création a pris valeur d’un nouage provisoire qui lui a permis de se décrocher d’un réel qui l’aspirait. En effet, ce lieu d’édification constitue le voile tissé d’imaginaire et de symbolique et sert à recouvrir partiellement un réel cru. Elle traqua le réel pour l’appareiller au voile et son œuvre ne devint pas un objet fini, mais s’infinitisera dans différentes versions de détails et de formes. Le génie de Camille, réside précisément dans ce savent assemblage. Elle incite l’autre à écarter le voile. Car au-delà, une chose se détermine induite par l’approche même du réel. C'est lui qui donne vie à ses personnages. Elle entraîne le spectateur à suivre le développement d’un acte à travers ses allégories. La cruauté, l’abandon, l’amour, la vieillesse et l’éternelle jeunesse sont des sujets qu’elle arborait sans détour, sans pudeur. Des jeunes femmes s’abandonnent telles Sakountala ou La Valseuse dans les bras d’un homme, cet autre qui prend charge d’un corps et son destin, auxquelles s’opposent les déchues, esseulées, ces perdantes devant l’impossible rencontre ; L’implorante, l’Âge mûr, Niobide blessée ou Rêve au coin du feu. Ces femmes symbolisent des temps forts de la vie de Camille. Elles sont les représentantes de l’évolution d’une femme qui va de la grâce à l’exil.

Au-delà d’une limite
Sa création est un rempart et se présente comme limitation d’une jouissance sans limites. La création stabilise en quelque sorte une pulsion désordonnée et l’empêche de vaciller. Car ce qu’elle arbore est un réel sans loi qui va l’entraîner dans l’abîme et le trou noir de l’horreur peu avant son internement. Dans cet acte sublimatoire, elle rencontre l’infini de sa jouissance et une liberté fondamentale où l’Autre maternel n’a pas de prise. Son élan arbore plus spécifiquement l’au-delà d’une limite. Mais, cette traversée vertigineuse lui fait arpenter des lieux interdits plus proches de l’horreur qu’une béatitude contemplative. Un ravissement est à l’œuvre et s’inscrit dans l’œuvre. Cette logique ravageante n’a pas de limites, et provient de ce traumatisme primordial dont nous avions évoqué les coordonnées précédemment. Ce temps d’extrêmes urgences l’accapare tout entière. Son œuvre est comme le dira son frère Paul toute l’histoire de sa vie, plus singulièrement, Camille puise son inspiration dans ce qui la constitue et la met à l’épreuve. D’un quelque chose qui la happe et la secoue s’élabore quelque chose qui la secourt. Sa création s’affirme comme support d’une jouissance, “une jouissance à elle, à cette elle qui n’existe pas et ne signifie rien. Une jouissance à elle dont peut-être elle-même ne sait rien, sinon qu’elle l’éprouve – ça, elle le sait.”[i] Camille occupe la scène de la création et réalise quelque chose de pleinement épanoui, dénué de doute, d’ennui et de peur. Instant refuge, lieu intime, cet espace est le siège d’où peut s’extraire l’œuvre et où s’abrite et se nourrit le sujet de l’inconscient. Bien sûr, Camille Claudel cherchait à faire admettre qu’une femme pouvait sculpter comme un homme, avec autant de talent et de génie et d’y inscrire son emblème. Mais, les risques qu’elle prend pour y parvenir touchent un ailleurs qui n’a rien à voir avec la femme dans sa valeur culturelle, sociale et communautaire. Solitaire, elle revendiqua son statut de femme artiste, mais ne put en soutenir l’enjeu, jusqu’au bout. L’arrêt de sa création et sa destruction dix ans avant son internement vient répondre de cette impasse sombre. Ce voyage au bout de la nuit teinte d’abîme et de déchéance autant sa production que sa manière d’être au monde. Anéantie et à bout de souffle, alors que tout vient à lui manquer, la création ne parvint plus à soutenir celle qui arpente d’un peu trop près l’espace d’un trou, l’infini d’une jouissance hallucinée. Un trou, disait Lacan, « ça tourbillonne, ça engloutit », l’infini tout autant « absorbe et aspire ». Bouleversée par cette rencontre funeste, elle glisse dans un abîme effroyable et s’y égare.

La relation au partenaire
Dans ses relations aux autres et notamment à Rodin, son maître et amant, qui joua un rôle déterminant dans sa vie, elle cherche l’objet qui pourra l’apaiser, la compléter en tant que femme. En vain. Avec une voracité sans borne, Camille exigera dans leur histoire l’exclusivité de son amour et un regard indéfectible sur son œuvre. Mais, l’homme indécis qu’est Rodin, le choix de ce partenaire particulier met en exergue sa demande d’amour d’absolu et les concessions, qu’elle est prête à engager pour obtenir de lui ce que sa mère n’a pas pu lui donner. Leur complicité artistique, leur passion pour la sculpture a soutenu Camille quinze années durant, lui permettant d’être apaisée, provisoirement. Mais, la présence de Rose Breuet, compagne de Rodin, celle des mauvais jours, devint pourtant rapidement la rivale de Camille. Elle voulait tout de Rodin et ne put se satisfaire de ce qu’il était capable de lui offrir.

Confuse fut sa demande. Elle permet sans conteste de reconnaître la nature de ses revendications. Sa quête illimitée et sa demande insatiable inassouvie firent vaciller son monde et les contours de sa psychose se sont révélés. Ce qu’elle ne voulait pas disait-elle “c’est d’être aidée, mais être reconnue”. C’est pour cela qu’elle se séparera du maître et refusera l’aide qu’il lui proposera. Elle voulait tout de lui et ce qu’elle rencontre chez Rodin c’est l’impossibilité d’obtenir ce qu’elle n’a pu obtenir de sa mère. Face à cet impossible collage, Camille mettra tout en œuvre pour parvenir, seule, à son dessein. De cette logique solitaire se dégagent les modalités d’une position féminine de l’être où Camille est "toute" orientée vers une pulsion de mort mise en acte. Cette position extrême qui caractérise cette femme s’inscrit dans la logique que dégage Lacan dans le séminaire Encore. La femme n’existe pas, nous dit-il. Il n'y a pas, en effet, de signifiants proprement dits pour dire La femme par contre plusieurs façons pour une femme d’aborder sa féminité entre semblants de subsistance et l’illimitée d'une jouissance qui peut la ravager.

Camille attaque Rodin exactement là où il ne peut pas lui donner ce qu’elle demande : un don absolu. Nous pensons notamment à cette promesse de mariage où Rodin lui promet le mariage et son entière dévotion. Il lui écrit : « Pour l’avenir à partir d’aujourd’hui 12 octobre 1886, je tiendrai pour mon élève que Melle Camille Claudel et je la protégerai seule par tous les moyens que j’aurai à ma disposition par mes amis qui seront les siens, surtout par mes amis influents. Je n’accepterai plus d’autres élèves pour qu’il ne se produise pas par hasard de talents rivaux quoique je suppose que l’on rencontre souvent des artistes aussi naturellement doués. [Après l’exposition, au mois de mai nous partons pour l’Italie et y restons au moins six mois, commencement d’une liaison indissoluble après laquelle Mlle Camille sera ma femme. » Il n’y aura pas de mariage. Ce voyage n’aura pas lieu. Cette lettre n’était là que pour apaiser Camille. Ce qu’il parvient à faire momentanément. Ils poursuivent leur histoire au-delà de cette promesse déchue. Pourtant, ce que Rodin donnera à Camille par la suite ne pourra lui suffire. Ce que nous comprenons, c’est que Camille devient « femme » dès lors que Rodin lui donne cette parole qui calme son besoin d’être. Mais elle perd ce fragile statut lorsqu’il le lui reprend en annulant sa promesse. Sa parole est trahie, le lien se rompt. L’amour se transforme en haine du côté de Camille. La femme qu’était devenue Camille redevient sauvage. L’histoire de cette passion, est chez Rodin impossible à circonscrire, ravagé qu’il est par cette femme qui prône l’illimité d’une jouissance particulière et le précipite dans un abîme mortifère, concomitant à la nature de délire de Camille ; sa déchéance, elle la doit à Rodin.

Cette folie féminine effrayante pour Rodin n’a pas pu être assouvie ni par sa promesse d’amour, ni par l’enfant qu’elle a perdu lors d’un avortement. Rodin n’est pas capable, selon Camille, de cette parole qui donne vie et jouissance : cette parole qu’il a donnée et reprise. À cette passion amoureuse succède cette passion haineuse, chez Camille. Elle pourrait dire : « Celui à qui je suppose le savoir, je l’aime et en retour j’attends qu’il me donne la réponse à la question « qui suis-je »[ii] Camille destituée de l’habit qui la faisait être se précipite dans une haine immodérée. Dépouillée, privée dit-elle de tout ce qui lui appartient et tient lieu, dans ce qu’elle a de plus précieux « sa sculpture ». La destruction de l’œuvre commence précisément à ce moment-là. Rodin sera celui qui vole, épie, empêche Camille d’aller là où elle veut : ce lieu où elle fabrique de l’être. Sa création enferme cette jouissance féminine qui se passe de l’Autre. Débarrassée de cet avoir, elle sera prête à tout, fouillant ses entrailles avec son glaive afin de trouver son être ; résultat d’une œuvre incarnée aussitôt détruite.

Épilogue
Durant toute leur existence, deux femmes se sont affrontées dans une danse macabre où les mots n’ont jamais pu atteindre l’Autre. Camille attendra toujours quelque chose de sa mère brandissant jusqu’à la fin de sa vie une demande inextinguible de se retrouver près d’elle. Se faire toute petite invisible et silencieuse pour ne pas la gêner, est-ce le prix à payer pour espérer que cette mère lui accorde une place ? Elle écrit : “Quand tu ne me donnerais que la chambre de la mère Régnier et la cuisine, tu pourrais fermer le reste de la maison. Je ne ferais rien de répréhensible, j’ai trop souffert pour ne jamais m’en remettre.” Les mots sont jetés sur le papier, dernière demande pour tenter de briser à jamais ce mur qui les sépare. C’est une énigme pour Camille, que d’être à tel point écartée. Ce rejet d’une extrême violence est une image persécutrice pour Camille. C’est précisément autour d’une image que se joue le ravage. L’hypothétique solution de Camille sous-tend de se frayer un chemin et de trouver une place dans le regard de sa mère. L’amour n’est pas attendu, mais la promesse d’une entente pacifiante possible. Rien ne semble pouvoir venir de cette mère malgré les suppliques de sa fille. On se souvient que lors de son internement les choses étaient posées avec violence, pour couper court à toute tentative de rapprochement. En effet, Mme Claudel avait expressément recommandé aux médecins de ne jamais la laisser communiquer avec l’extérieur ; interdite d’envoyer du courrier ou d’en recevoir. Elle terminera enfermée, isolée et coupée de tous et notamment de ceux qui s’intéresseraient à son travail. Mme Claudel avait donc réussi cette coupure radicale, au point qu’en 1920 Camille Claudel était déclarée morte à Paris.
 

[1] Anne Rivière, L’interdite, TIERCE, 1987, p. 7
[2] Marie-Magdeleine LESSANA, Entre mère et fille : un ravage, Hachette 2003, p.395
[3] Marie-Madelaine LESSANA, op. cit., p. 398
[4] Ibid.,
[5] Marie-Hélène BROUSSE, op. cit, p.99


[i] Jacques Lacan, Le séminaire livre XX, Encore, page.69
[ii] François Bony, (section clinque de Nice) Médée,  « une vrai femme », P.6

16 mars 2012

Projet d'envergure, projet d'ouverture....

Le 10 mars 1913, Camille Claudel (1864-1943) est internée à l’hôpital de Ville-Evrard près de Paris suite au conseil de famille qui avait réuni Mme Louise Athanaïse Claudel et Paul Claudel. Le 7 septembre 1914, Camille Claudel est transférée à Montdevergues, asile public d’aliénés dans le sud de la France près d’Avignon alors que la grande guerre fait rage. Un internement « définitif », voulu par la mère, s’ouvre sur trente années d’exil.

70 ans après la mort de Camille Claudel, du 30 mars au 2 juin 2013, à partir de la collection particulière de Reine-Marie Paris petite nièce de Camille Claudel qui a largement contribué à ce que sa grande tante sorte de l’ombre, le musée Les Arcades, situé dans le Centre Hospitalier Psychiatrique de Montfavet revisite l’histoire et la renverse pour faire ré-entrer Camille Claudel dans ce lieu historique lors d’une exposition inaugurale. Occasion de replonger dans cette tragédie mais surtout de saluer la grâce d’une œuvre puissante et sensible. Treize œuvres choisies pour leur valeur autobiographique et esthétique prendront place dans ce petit musée dans une mise en perspective d’un parcours thématique où femme, folie et création se juxtaposent au sein même d’une œuvre incarnée. L’exposition « Camille Claudel, De la grâce à l’exil. La femme, la folie, la création », est une exposition orientée par le parcours d’une femme passionnée par son art. Sa main sculpte la matière et la transforme en joyeux pur. La construction scénographique s’oriente de signifiants forts qui symbolisent au plus près le cheminement de cette artiste qui expose dans son œuvre, la sinuosité d’une grâce et les retords d’un exil intérieur. Ces deux substances se conjuguent dans une harmonie sculpturale, lit d’une articulation dialectique et symbolique. Cette femme est à l’œuvre et l’œuvre est cette femme. Le cri sourd qui sort de la bouche tordue du Vieil aveugle chantant emblème de notre exposition, L’implorante agenouillée devant l’infini de sa demande, le corps replié aliéné sur l’horreur d’une jouissance illimitée de La femme accroupie, La Valse dont les corps s’enivrent d’une danse infinie sont autant de traits qui nous amènent à envisager l’œuvre de Camille Claudel comme objet dépositaire d’une vérité. Les corps et les visages qu’elle sculpte sont la représentation d’un art où s’expriment une émotion intense, des élans brisés. Celle femme arpente une solitude vive et dans un temps d’extrême urgence parvient à déposer dans l’interstice des courbes lascives, voluptueuses et torturées  cette part d’intime et les contours d’un réel cru. 

Cette exposition est un hommage posthume fait à la femme et à cette artiste prodigieuse. Mais l’exposition devient pour nous l’occasion par une orchestration pluridisciplinaire de poursuivre un travail de mémoire et d’approcher, au travers d’un projet scientifique et culturel, les différents thèmes que nous inspirent sa vie, son œuvre, sa folie et nous questionnent. Ils s’ordonnent autour de trois axes essentiels soulevés dans le titre de cette exposition : « La femme, la folie, la création ». Colloque, exposition d’œuvres originales des ateliers de la FIAPMC (atelier Marie Laurencin – atelier papier de soi), conférence/débat, création théâtrale des Ateliers de création de « l’Autre scène », « Il était une voix » et enfin « Emouvance » seront les emblèmes de cette création mise à l’honneur, une création toujours en gestation, toujours en devenir. La mise en scène et les représentations de ces groupes théâtre, danse et chant nous montreront que cette danse créative n’a pas de fin et qu’elle peut se jouer infiniment. Nous pensons que dans son ensemble, l’œuvre de Camille Claudel demeure extrêmement contemporaine et ouvre des voies nombreuses sur les chemins d’une création florissante et plurielle. En témoigner, est l’enjeu de cette riche programmation.

Mireille TISSIER
Commissaire d’exposition

15 mars 2012

La tête coupée de la Gorgone

 
« J’envie celles qui trouvent au début de leur existence un protecteur bienveillant au lieu d’un ennemi sournois et acharné : cela simplifie tout, le chemin se trouve tout tracé »[1]

Persée et la Gorgone, monument d’envergure est créé entre 1892 et 1901 pour le compte d’un mécène la comtesse de Maigret, alors que Camille a trente-cinq ans. Fatiguée jusqu’au désespoir selon l’expression de Mathias Monthardt, elle sera aidée d’ouvriers pour sa mise au point. Persée confirme l’hypothèse d’une composition autobiographique. 

Persée et la Gorgone est une œuvre majeure dans l’iconographie de Camille Claudel. Elle se présente comme le couronnement tout à la fois d’une victoire et d’une défaite. Les thèmes de l’amour, de la vie et de la mort sont contenus et  figés dans une tête de méduse sabrée et ensanglantée dont le dessin permet d’entrevoir ceux de celle qui en a modelé les contours. Ce jeu de miroir nous amène à reconsidérer le mythe dont elle s’inspire et dont elle s’approprie le sort malheureux.

Cette Gorgone mutilée est vaincue par un dieu victorieux, qu’elle façonne avec des traits d’adolescent d’une extrême beauté. Persée s’immobilise l’arme au poing, le regard droit, soulevant d’un geste triomphal celle qui fut la proie maudite d’une déesse à qui elle faisait ombrage, mais surtout pour sauver sa propre mère des griffes d’un homme malveillant, qui lui promis de lui laisser sa mère s’il lui ramenait la tête coupée d’une Gorgone. Selon la légende, cette Gorgone nommée Méduse aurait été une belle jeune fille, un peu trop fière de sa chevelure. Pour la punir, Athéna l'aurait changée en un paquet de serpents. Ayant connaissance du défi lancé à Persée, elle décida de l’aider à anéantir à jamais cette Méduse mortelle. Ainsi, par deux fois, le sort de cette Gorgone fut jeté. 

L’illustration de Persée et la Gorgone par Camille eut été une interprétation esthétique de plus, si elle n’avait pas doté de ses propres traits la Méduse décapitée. Ses yeux perçants et exorbités fixent son agresseur, qui prend soin de s’en détourner, attachant son regard sur son bouclier miroir pour ne pas être transformé en pierre, car la tête de Méduse conserve malgré sa décollation son pouvoir pétrificateur. Son visage immergé de souffrance et frappé d’horreur nous emporte là où Camille touche un réel nu, dépourvu d’apparat synonyme d’une déchéance et d’une lutte acharnée pour s’en écarter. Le miroir dans lequel son visage réfléchit, renvoie par ricochet les traits de son inspiratrice pétrifiés et semble corroborer le moment où peu à peu les ténèbres dans lesquelles Camille s’enfonce n’ont plus raison d’elle. Cette représentation de Persée, valeureux et encore tout vibrant de son exploit, un Persée vaillant d’avoir pu se rendre maître de ce qui lui permettrait de reconquérir l’amour d’une mère, asservie à l’amour d’un autre est une chose à jamais perdue pour Camille et se fige dans ce regard d’agonie au milieu d’un visage foudroyé d’un réel posé tel quel dans la pierre, signe sans équivoque d’un ravage originel entre elle et sa mère, qu’elle ne réussit jamais à traverser. 

La triangulation œdipienne reste intacte dans ce groupe de deux personnages où chacun joue à sa manière la partie de sa désaliénation. Mais en même temps, force est de constater que ce « Je » soulevé par Reine-Marie Paris  corrobore l’idée d’une unité, relative à l’image qu’entrevoit clairement Camille d’elle-même dans le miroir, c'est-à-dire un corps sans organe, qu’elle représente par la tête coupée d’une Gorgone terrifiée. Cette image est l’illustration d’une perturbation qui la touche intrinsèquement et que nous allons interroger afin de savoir pourquoi Camille télescope ses traits à ceux de la Méduse désarmée. Sans conteste, ceci attire notre attention sur une question centrale d’une forclusion et plus précisément de ce qui est forclos du symbolique et fait retour dans le réel. C’est ce réel que nous avons tour à tour tenté d’arborer et qui semble se déployer massivement dans cette représentation de Persée et la Gorgone. 

Dans l’Âge mûr, Camille  construit un montage qui paraît lui permettre de contenir au-delà de Rodin et de Rose, cette triade entre le symbolique, l’imaginaire et le réel, mais à travers lequel nous voyons déjà se déliter quelque chose dans le décrochage des mains de l’homme-Rodin et la jeune femme-Camille. De ce décrochage surgit la question d’un dé-nouage qui concerne un imaginaire qui ne tient plus par le symbolique, mais qui se trouve délité de toute la chaîne que Camille s’efforçait de faire tenir jusqu’alors. Avec Persée et la Gorgone, il n’y a plus d’équivoque dans ce qui se défait véritablement, représentation de cette femme défigurée et avilie par les souffrances et l’angoisse qui souligne quelque chose qui fait retour dans le réel. De toute évidence, cette tête coupée présentifie un réel. Ce bout de corps se montre comme l’effondrement d’un sujet vaincu par une force en délire que rien ne peut plus arrêter. Quelque chose ne tient plus et vient à manquer. Tout l’investissement libidinal que l’on perçoit dans l’Âge mûr se pose ici comme une rupture qui indique une tentative interrompue et l’aliénation capitale du sujet. Ce regard terrifiant particularise alors ce qui se déchaîne et qui marque un point d’angoisse que le fantasme ne parvient pas à contourner. Ces yeux imprégnés d’angoisse nous précisent donc qu’il y a un intolérable subit par le sujet qui le coupe de l’Autre. Cette image de la Gorgone souligne par voie de conséquence le miroir à travers lequel Camille ne se reconnaît plus dans l’autre. L’investissement narcissique de la jeune femme agenouillée dans l’Âge mûr nous conduit maintenant à corroborer l’idée d’une représentation première d’un investissement libidinal important que Camille a essayé de matérialiser comme ultime tentative de se reconnaître dans l’autre. Le décrochage semble s’être produit et sa capitulation effective marquée dans Persée et la Gorgone nous amène à reconsidérer la position subjective de Camille.

Quand Rodin quitte définitivement Camille, elle tombe et vient se coller à l’image d’une femme esseulée, position et manque constitutif chez sa mère sur laquelle elle vient à s’échouer ; c'est-à-dire sur l’image qu’elle a d’elle-même. Cette tête aux traits de Camille souligne donc un reste. Les enveloppes imaginaires ne se maintiennent plus et l’on a devant nous une structure en cadavre. 

L’Âge mûr qui introduisait, à partir du stade du miroir de Lacan, un premier narcissisme où il y avait encore une tentative de lier le nœud du symbolique de l’imaginaire et du réel, ici dans cette tête de Gorgone coupée nous faisons l’hypothèse que ce bout de corps tenu à bout de bras précise l’idée d’un reste dont le phallus (-φ)  démontre un manque qui vient à manquer chez le   sujet-Camille.  Le vide se déploie dans ce regard pétrifié et l’on devine que cet imaginaire ne s’accroche plus au symbolique, c'est-à-dire un imaginaire qui se délite et produit une forme décharnée, inconsistante et déliée. Ce regard statufié semble pourtant essayer de faire tenir, à grand-peine, ce qui s’effondre littéralement. La  représentation de ce corps morcelé est l’échec de ses tentatives épuisantes de maintenir les fondations de l’imaginaire. Le défaut du Nom-du-Père dans l’Autre du langage se pose, là, dans cette tête ensanglantée synonyme d’un décor crépusculaire où plus rien ne semble tenir au monde des vivants. Au fond, ce qui découle de cette construction c’est l’émergence de quelque chose qui touche en plein cœur le réel d’où nous pouvons entrevoir s’accomplir la chute certaine de son inspiratrice.
Paul Claudel saluera cette allégorie des plus beaux éloges comme à l'accoutumée, pourtant sa plume la décrit comme une ultime création, «  Cette figure sinistre en qui se dresse comme la conclusion d’une carrière douloureuse, avant que s’ouvrent les ténèbres définitives » dont la Gorgone est pour lui une « tête à la chevelure sanglante, l’image de la folie et du remord »[2]



[1] Lettre de Camille CLAUDEL à Gustave Geffroy, [1905], Anne RIVIERRE et Bruno GAUDICHON, Camille Claudel, Correspondance, Art et Artistes/ Gallimard, Edition 2003, p. 186

[2] Paul Claudel, « Ma sœur Camille » dans Musée Rodin 1951, p 12